L’accrochage est extrêmement dense, foisonnant, explosif dans sa profusion de couleurs, d’aplats. Né à Florence en 1888, Alberto Magnelli a découvert la peinture en 1907, sans aucune formation préalable.
Pinceaux et couleurs pures sortant du tube : un paysage est né. L’obsession de la forme aussi. Après un premier contact avec les milieux futuristes, Magnelli rencontre Max Jacob, Picasso, Fernand Léger, Juan Gris, et visite l’atelier d’Henri Matisse à Paris.
De 1914 date une série d’œuvres figuratives aux formes simplifiées, aplats de couleurs cernés d’un trait noir. Ses peintures Explosions lyriques (1918) où le motif devient difficile à cerner comptent parmi les favoris de Daniel Abadie, exécuteur testamentaire de la succession et commissaire de l’exposition montée en partenariat entre le Musée d’Ixelles et le Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds, en Suisse : « Avec les Explosions lyriques, Magnelli est à la fois dans une figuration éclatée et un balayage de la couleur qui annonce le all over des Américains. »

L’écriture de la ligne claire

A cet écho au futurisme, suit une période marquée par le retour au sujet, des personnages, des paysages entre nouvelle figuration et réalisme imaginaire. Etabli en France dans les années 30, le peintre de Florence renoue avec l’abstraction et la série des Pierres, une série très brute qu’il entreprend après avoir visité les carrières de Carrare. Cette période dite de « la peinture métaphysique » est le signal vers une abstraction géométrique d’une très belle pureté. Les compositions jouent sur des gammes de rythmes amples ou nerveux, de beaux aplats de couleurs nerveuses, une écriture proche de la ligne claire.
Dans cet accrochage qui en jette jusqu’au trop-plein, il faut se frayer un chemin parfois ardu, s’éloigner d’une toile et de sa répétition pour extraire la richesse d’invention de sa voisine.
A force d’ouvrir l’éventail Magnelli sur un même pied, l’exposition perd quelque peu de sa force au fil d’un parcours qui emmène quand même le visiteur au top de la figuration elliptique pratiquée par le peintre italien jusqu’à sa mort, en 1971.
Représentant toutes les phases de la création, l’exposition Albert Magnelli, pionnier de l’abstraction est un véritable florilège de très belles pièces, peintures et dessins. De la période d’avant-guerre où les formes sont particulièrement acérées jusqu’à la géométrie souple, musicale et très expressive des années cinquante qui est la marque de fabrique Magnelli, ce parcours culmine avec les MesuresIntersections et finalement lesLumières scellées de 1967, si proches des collages, des ardoises d’écolier, et des papiers découpés de Matisse.

« L’école de Magnelli ? Les églises de Florence »

entretien
Commissaire d’exposition, l’historien d’art français Daniel Abadie présente l’œuvre d’Alberto Magnelli.
Présenter Magnelli, c’est toujours un défi qui vous tient à cœur ?
Magnelli est un artiste qui me touche depuis longtemps. Je lui ai consacré une première rétrospective itinérante en 1970. Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles m’avait devancé ! L’exposition a eu lieu à Bruxelles en 1955. Elle a eu un énorme retentissement. Jo Delahaut en a fait un compte rendu étourdissant. Un des grands collectionneurs de Magnelli était le mécène liégeois Fernand Graindorge. Magnelli et la Belgique, c’est une vieille histoire d’amour !
Et un exploit ?
Les prêts deviennent difficiles à conclure car ils s’alignent sur la valeur de l’œuvre en ventes publiques. Une vente en janvier chez Christie’s a fait monter la cote. Les prêteurs ont immédiatement quadruplé la valeur d’assurance. L’exposition présente des œuvres qui n’ont plus été vues depuis 30 ans parce qu’elles proviennent de collections privées belges et suisses.
Magnelli est resté très attaché à sa ville d’origine, seule la mention « pittore fiorentino » figure sur sa tombe. L’œuvre est déterminée par le Quattrocento ?
Il disait que les églises et les musées de Florence ont été son école de peinture. L’influence majeure aura été Piero della Francesca, notamment dans le jeu des pleins et des vides, la manière dont il va produire des surfaces abstraites pleines et creuses. Il était moins disert sur certains autres artistes mais je sais qu’il a profondément admiré Masaccio. Les peintres du Quattrocento lui ont transmis la simplicité des formes.
Etait-il dogmatique ?
Oui et non. Il admirait Picasso, ébloui par sa capacité de renouvellement. Oui, il était dogmatique quand il disait détester Francis Bacon parce qu’il montrait l’intérieur de la pensée alors que lui souhaitait que la peinture contienne la pensée sans la montrer. Dans nos discussions, juste avant sa mort, il m’a confié aimer Braque et Kurt Schwitters. C’est typique de l’ouverture de son caractère, comme sa collection d’art nègre.
En 1941, sa demande d’émigrer aux Etats-Unis est refusée. Sa femme Susi tombe malade. Elle est allemande et juive. Ses opinions politiques sont mal vues en Italie.
Magnelli entre dans un isolement total, proche de Arp, Sophie Taeuber, Sonia Delaunay. Tout manque, les tubes de peinture, les toiles. Il développe les collages, les ardoises, le dessin, les gouaches sur papier à lettres. Tout cela va renforcer le minimalisme de la forme.

Solheid en « Confessions publiques »

Bavant sa vinasse carnavalesque sous une lune rousse, le Char Maudit nargue les artistes sacrés, les Vandercam et Alechinsky. Cette rupture est une charge salvatrice au sein du classicisme du Musée d’Ixelles. Bras en croix, l’artiste belge Vincent Solheid tournoie au centre de l’espace : il y dispense des Confessions publiques dans une exposition carte blanche. Invité par Jean-Luc Moerman dans l’exposition Pop-Up en 2012, Vincent Solheid a remporté le prix du public et cette expo solo.
« Je raconte une histoire. J’ouvre de nouvelles portes, lance Solheid. La confession de ses péchés à un prêtre est une démarche intime. En la rendant publique, je lève l’ordre du secret. » Et des secrets, il en court sur les flancs de la vallée qui sépare Malmedy de Stavelot. Solheid plante son récit : témoignages écrits, cavalcades de petits soldats, hosties ensanglantées, reliques remastérisées en Transformers nous emportent en des temps lointains. « Je pose la question de l’existence d’un personnage historique, un religieux festif qui aurait été l’instigateur d’une procession commune en 1759, l’unique carnaval réunifiant la principauté de Stavelot-Malmedy. » Sacrilège ! Le char relique, le char orgiaque jouent sur le symbole de la dualité des choses, du profane et du religieux. Confessionnal ou vomitoire, déplacement de sens, réappropriation d’objets et détournements provocateurs sont le menu quotidien de l’auteur du Grand Tour, un film qui joue aussi sur les excès et leurs contraires. Cette poétique de l’énigme est la signature de Vincent Solheid qui ne s’identifie à aucun registre du commerce de l’art : son travail est un jeu de miroirs vertigineux où la question du sens à suivre, à contourner, à
déchiffrer, est omniprésente.
Musée d’Ixelles, jusqu’au 26 mai.